I woke up in a heatwave and everybody's gone

En raison d’une tendance que je ne m’explique pas, l’été me semble associé au jaune et au rouge, à une lumière aussi étincelante que rasante et à un large spectre musical allant de la trance à la pop en passant par le neoperreo et la trap. Il s’agit généralement du moment de l’année où mes goûts musicaux opèrent un 360 bienheureux et où je me mets à rechercher autotune et arpèges de synthés euphoriques et à passer allègrement la barre des 150 BPM en quasi permanence. Pourtant, cela n’a pas toujours été ainsi. Il m’est arrivé d’écouter du shoegaze ou de la noise sous 35 degrés, comme une sorte d’acte de résistance à l’égard d’une saison longtemps détestée (j’en parlais ici il y a presque un an) et cette année encore, je me suis surprise à me réfugier dans les riffs de guitare denses et à comprendre que ces derniers étaient aussi synonymes d’été, comme le disait Louise Chen dans un Breakfast Show en juillet. J’attribue désormais ces périodes de mutation musicale au besoin de me sentir en accord avec l’environnement qui m’entoure, que j’évoquais dans ma newsletter de mai. En été, j’ai envie de me plonger dans des ambiances ou des œuvres qui me permettent de partir en vacances, y compris lorsque je me trouve chez moi, et cela passe aussi par le fait d’adapter son corps au rythme estival et à ses journées qui doivent commencer très tôt ou finir très tard si l’on veut profiter de la fraîcheur. C’est la raison pour laquelle cette newsletter prend également quelques vacances avant de revenir sous sa forme originelle en septembre. Pour l’heure, place à une liste de recommandations summer friendly et/ou d’éternels favoris, qui permettent de bouger ou de s’évader sans faire des kilomètres.

𖤓°⋆.ೃ࿔*:･ Films

⋆☀︎｡ But I’m a Cheerleader, Jamie Babbit (1999)

Beaucoup d’entre vous connaissent sûrement ce film devenu culte, qui détourne habilement les codes du teen movie pour se parer d’atours délicieusement camp. Il relate l’histoire de Megan (Natasha Lyonne), une jeune fille cheerleader et en couple avec le capitaine de l’équipe de foot de son lycée, qui se voit forcée par ses parents d’intégrer True Directions, un camp de conversion pour personnes queer. Sous des dehors comiques et cyniques, accompagnés par une très jolie relation romantique, But I’m a Cheerleader dénonce la violence et l’absurdité des pratiques de conversion qui ciblent encore les personnes de la communauté LGBTQIA+ (1) et se montre résolument militant en démontant les codes de genre et l’hétéronormativité dans des performances savoureuses, avec en bonus une bande-originale incroyable, clôturée par “We’re In The City” de Saint Etienne.

⋆☀︎｡ Summer Survivors, Marija Kavtaradze (2018)

Quelque chose en moi associe ce film à la fois solaire et profondément mélancolique à Oslo 31 août de Joachim Trier ou à la filmographie de Mikhaël Hers, car tous ces films montrent des personnages dont les failles et les fragilités remontent à la surface avec la chaleur estivale. Summer Survivors suit Indrė, une jeune psychologue-chercheuse, chargée d’accompagner Paulius et Justė, deux patient·es de la clinique où elle travaille, jusqu’à un nouveau lieu d’hospitalisation. Au vu du sujet et des troubles dont souffrent ces deux personnages, le film pourrait aisément se montrer caricatural et plein de pathos. Pourtant, ce dernier préfère évoquer en douceur les liens qui lient ce trio en train de vivre un road trip improbable, similaire à un véritable moment suspendu avant l’arrivée de l’automne et de ses tempêtes météorologiques ou psychiques.

⋆☀︎｡ Les Filles d’Olfa, Kaouther Ben Hania (2023)

Beaucoup d’entre vous auront certainement eu l’occasion d’aller voir Les Filles d’Olfa lors de sa sortie en salle, suite à sa présentation remarquée au Festival de Cannes de 2023. Pour ma part, je me souviens de l’avoir vu par hasard un soir d’été — je m’étais trompée de salle au cinéma et m’étais retrouvée devant ce documentaire, destiné à marquer celleux qui le visionnent de manière indélébile. Olfa Hamrouni est Tunisienne et mère de quatre filles mais Rahma et Ghofrane, les deux aînées, disparaissent un jour dans des circonstances tragiques. Profondément touchée par l’histoire d’Olfa et de ses enfants, Kaouther Ben Hania décide de recruter trois actrices professionnelles pour rejouer cette dernière en compagnie d’Olfa, Eya et Tayssir, ses deux filles cadettes. Ce documentaire cathartique brise le quatrième mur tout en faisant le portrait de relations mère-filles, de trauma générationnel et de sororité avec beaucoup de subtilité, de respect et d’amour à l’égard de celles à qui le film est consacré.

𖤓°⋆.ೃ࿔*:･ Lectures

⋆☀︎｡ Peau. À propos de sexe, de classe et de littérature, Dorothy Allison, tr. Nicolas Milon et Camille Olivier, Cambourakis (coll. Sorcières), 2015.

La grande Dorothy Allison nous a quitté·es le 6 novembre dernier en laissant derrière elle une œuvre essentielle, aussi bien en terme de fiction que de poésie ou de récits autobiographiques et d’essais. C’est grâce à ces derniers, collectés dans l’ouvrage Peau — publié pour la première fois en 1994 — que j’ai plongé dans son œuvre, qui m’a marquée à jamais. Elle y aborde sans fard la manière dont elle envisage sa sexualité et dont cette dernière évolue au fil des années et des rencontres, mais aussi son enfance et l’inceste qu’elle a subi de la part de son beau-père ainsi que son engagement féministe et militant et son identité de femme lesbienne blanche, issue de la classe populaire américaine. Peau est une lecture cruciale et bouleversante, à mi-chemin entre manifeste féministe pour la création littéraire et récit d’émancipation et d’introspection.

⋆☀︎｡ Fleurs, Marco Martella, Actes Sud (coll. Un endroit où aller), 2021.

Je n’aurais sûrement jamais lu Fleurs si ma mère ne me l’avait pas recommandé à de nombreuses reprises et je ne peux que la remercier puisque cette lecture fait sûrement partie de mes préférées de l’année à ce jour. Qu’il s’agisse des citronniers qui lui rappellent le souvenir de sa propre mère, d’Emily Dickinson et du jardin d’Homestead qu’elle ne quitta jamais ou des herbes folles du domaine de Ringkøbing, qui ont donné un sursis à un homme condamné par la maladie, Marco Martella part à la rencontre de femmes et d’hommes, vivant·es ou disparu·es, dont le jardin est indissociable de leurs existences. Il mène ainsi une réflexion sur les liens unissant les humain·es et cet espace apprivoisé par elleux mais aussi sur ce qui lie la vie et la mort à travers le cycle des saisons et les éternel·les fins et recommencements, présent·es dans chaque jardin et être vivant.

⋆☀︎｡ Daruchan ou la vie ordinaire de Narumi Maruyama, employée intérimaire, Lemon Haruna, Le Lézard Noir, 2021.

Ce manga incroyable possède plusieurs sens de lecture. D’une part, il raconte la pression subie dans le monde du travail, qui empêche d’être soi-même et de se consacrer à ce qui est prioritaire pour sa santé et son bien-être psychique. D’autre part, il évoque également la question de la neuroatypie — notamment chez les personnes sexisées, car ce sujet demeure encore trop peu traité et reconnu — puisque la protagoniste n’est autre que Daru-chan, une créature alien échappée de la planète Darudaru, qui dissimule son étrangeté sous l’apparence de la jeune employée intérimaire Narumi Maruyama. Une lecture aussi poétique qu’essentielle, qui peut également servir d’outil didactique pour expliquer les stratégies de masking (2).

𖤓°⋆.ೃ࿔*:･ Musique

⋆☀︎｡ DREAMER - Nabihah Iqbal (Ninja Tune, 2023)

Si vous étiez passé·e à côté de l’écoute de ce magnifique album de Nabihah Iqbal, quelque part entre ambient, dream pop et indie rock, c’est l’occasion de vous rattraper cet été. Ce disque solaire et introspectif est une réflexion sur la musique comme acte de guérison suite à des traumatismes — le cambriolage du studio de Nabihah Iqbal qui a donné lieu à un burn-out puis le retour en urgence de cette dernière au Pakistan pendant la pandémie suite à l’AVC de son grand-père, qui l’a forcée à rester confinée sans ses moyens habituels de produire de la musique. On ressent le soin et le temps passés sur chaque morceau, audibles dans les guitares cristallines qui s’étirent en longueur pour notre plus grand plaisir. Il s’agit d’un disque à chérir sur le temps long, qui permet d’apprécier les talents de production et d’écriture de Nabihah Iqbal, compositrice, animatrice de radio et DJ de génie (<3)

⋆☀︎｡ True Romance, James Massiah (LEVELS, 2024)

Cet EP est certainement le disque que j’ai le plus écouté pendant l’été 2024. J’ai absolument tout adoré dans cet album, que ce soit les influences grime qui transparaissent dans chaque kick et ligne de basse ou la voix de James Massiah, entre rap et spoken word. Sa musique m’a beaucoup rappelé la discographie de Dean Blunt, et ce n’est pas un hasard car ce dernier fait justement partie de l’énigmatique projet de hip hop expérimental Babyfather en compagnie de James Massiah, alias DJ Escrow. True Romance est un album solaire dont les thématiques — qui vont de la relation romantique à la rupture en passant par les périodes d’introspection et de renouveau — demeurent universelles quand la canicule s’en va. Si vous avez apprécié cet album, n’hésitez pas non plus à écouter Bounty Law, le dernier projet en date de James Massiah sorti en mai sur le label ineedsound.

⋆☀︎｡ Young-Girl Forever - Sofie Royer (Stones Throw, 2024)

J’ai choisi de vous conseiller Young-Girl Forever car il s’agit du dernier album en date de Sofie Royer mais l’entièreté de sa discographie vaut la peine d’être écoutée et aimée, qu’il s’agisse de Cult Survivor (2020) et Harlequin (2022), ses deux premiers albums, ou de l’ensemble des singles qu’elle a sortis en solo ou en collaboration avec d’autres artistes. Young-Girl Forever est un délice auditif du début à la fin, entre synthés sautillants d’inspiration 80s, parties au violon jouées par Sofie elle-même et paroles écrites en anglais, en français et en allemand, qui évoquent aussi bien des relations romantiques complexes que le temps qui passe ou la difficulté à sortir de sa chambre.

𖤓°⋆.ೃ࿔*:･ Podcasts

⋆☀︎｡ Dramathis - Mathis Grosos

Dramathis fait partie des podcasts que je suis le plus alors que je me rends extrêmement peu au théâtre et que mes connaissances sur le sujet sont des plus limitées. Pourtant, j’ai énormément appris en écoutant chaque mois le bilan culturel de Mathis Grosos ainsi que son format “La pièce rapportée”, où il convie une personnalité à se rendre au théâtre avec lui et à faire le point sur le spectacle ensuite. Mon format préféré du podcast demeure “L’heure du thé”, où Mathis tente de répondre à une question sur le théâtre avec des analyses personnelles et théoriques, toujours très intéressantes et référencées, en mettant systématiquement au premier plan les personnes concernées. C’est l’occasion de rappeler que les minorités sont toujours trop peu sur le devant de la scène au théâtre comme dans chaque milieu culturel (c’est un euphémisme 🙃) et de vous recommander chaudement l’écoute des épisodes “Le théâtre, un truc de blancs ?” et “Vers une institutionnalisation des cultures queer ?”.

⋆☀︎｡ Digging - Flo Dill (NTS)

Si vous parlez anglais et que vous aimez écouter des musicien·nes et artistes partager leur processus de création, ce podcast est fait pour vous. Les amateurices du merveilleux Breakfast Show de Flo Dill sur NTS auront également le bonheur d’y retrouver cette dernière en train de jardiner en compagnie de Cosey Fanni Tutti, Tirzah ou Sainté, pour ne citer que quelques-un·es des invité·es du podcast, et d’établir des parallèles passionnants entre écriture, création musicale et jardinage. Le podcast est également disponible en format vidéo sur la chaîne Youtube de NTS et c’est un vrai plaisir de regarder Flo discuter et jardiner avec ses invité·es (surtout quand on est un·e néophyte absolu·e dans ce domaine).

(1) La pétition pour interdire les pratiques de conversion au sein de l’UE lancée par l’association ACT (Against Conversion Therapy) a dépassé le million de signatures mi-mai et attend désormais une réponse de la part de la Commission Européenne.

(2) Le masking regroupe toutes les stratégies d’adaptation (généralement invisibles pour les personnes en face) effectuées par les personnes neuroatypiques pour s’intégrer dans un milieu professionnel, nouer des relations sociales, etc.

La série d’interviews que j’avais initiée sur mon blog en novembre dernier reprendra à la rentrée. N’hésitez pas à lire les précédentes si vous les aviez manquées lors de leur publication et mon mix spécial été est toujours disponible sur Soundcloud si vous manquez d’inspiration musicale pour le mois d’août !

Je vous laisse avec ce superbe tour de force de 8 minutes signé Cleo Reed, qui sert d’introduction à son album Cuntry, bien parti pour être l’une des meilleures sorties musicales de l’été, si ce n’est de l’année ⋆.˚✮🎧✮˚.⋆

Merci d’avoir lu cette newsletter hors-série et à toutes les (nombreuses) personnes qui s’y sont abonnées ces dernières semaines ! Rendez-vous début septembre dans vos mails pour la prochaine, qui sera à nouveau sous sa forme habituelle :)
Passez un beau mois d’août ⋆⭒˚｡⋆